En terre d’enfance
De l’école primaire, il ne me reste au fond que quelques souvenirs épars. Je présume qu’il en est ainsi pour la plupart d’entre nous. Parmi d’autres, reviennent à ma mémoire, la séance hebdomadaire de piscine -Oh, joie trop vite renouvelée-, le bruit de la craie sur le tableau mal effacé, les pupitres en bois parfois revêtus de croquis de Picasso en herbe, mes doigts si souvent barbouillés d’encre bleue puis passés à l’effaceur, les séances de lecture « à haute voix », de récitation ou d’interrogation devant toutes ces regards fixes braqués soudainement sur moi – Oh, joie trop vite renouvelée bis-, les « bons points » et images, la photo de classe annuelle et les portraits individuels –expliquant sûrement qu’être photographiée m’emballe autant depuis-, le bonheur quotidien d’être celle qui entre dans la classe avec près d’une demi-heure de retard -bonheur que je dois à mon père qui, du fait de son légendaire altruisme, s’est toujours affranchi de tout ce qui pouvait le gêner même lorsque les répercussions ne concernaient que les autres-, la sonnerie de la sortie et l’attente de savoir si la nourrice serait venue elle-même ou aurait, comme fréquemment, envoyé à l’insu de ma mère une autre fillette (âgée de neuf ans quand j’en avais sept) qu’elle gardait également–quand j’y pense, nous eûmes de la chance de ne jamais croiser la route d’un pédophile-, mon grand-père qui prit ensuite le relais de la nourrice plusieurs années, la bonté de mon instituteur préféré, les livres de la bibliothèque rose –plutôt eau de rose- ou verte empruntés chaque semaine, les jeux de récré -billes et calots, marelle et élastique-, les sorties scolaires en car, les cartables lourds comme des ânes morts de cahiers, manuels, livres, compas, équerres, crayons de couleurs, etc… scandalisant mon grand-père, les carambars, malabars à l’atroce arome de fraise synthétique, les bonbons -probablement à l’acide chlorhydrique qui changeaient de couleurs- offerts par mes copines qui assuraient une rente à la boulangère, les tables de multiplication et l’alphabet ânonnés, l’apprentissage de ma langue française chérie et les premières rédactions. Et enfin, quelques prénoms féminins -mes copines-, et masculins, perdus au milieu d’autres dont je préfère oublier jusqu’à l’existence.
Je clos ici le chapitre de mes confidences, contraires à ma nature profondément secrète, et éviterais soigneusement d’évoquer le lycée et plus encore, le collège.
Par mes mots, vous aussi aurez peut-être refait un bref voyage en terre d’enfance.